Fascination Page 6
Peu après, le personnel médical s'agita dans tous les sens, et un deuxième blessé fut amené sur le lit voisin. Sous les pansements tachés de sang qui enserraient étroitement sa tête, je reconnus Tyler Crowley — il partageait mes cours de civilisation. Il avait beau être dans un état mille fois pire que le mien, il me dévisagea avec anxiété.
— Bella, je suis désolé !
— Je n'ai rien, Tyler. Toi, tu as mauvaise mine. Ça va ?
Les infirmières avaient commencé à dérouler les bandages souillés, dévoilant une myriade de coupures peu profondes sur son front et sa joue gauche. Il ignora ma question.
— J'ai cru que j'allais te tuer ! Je roulais trop vite, j'ai été surpris par le verglas...
Il grimaça, car on tamponnait ses blessures.
— Ne t'inquiète pas : tu m'as loupée.
— Comment as-tu réussi à fiche le camp aussi vite ? Tu étais là et, soudain, plus personne...
— Euh... Edward m'a tirée de là.
Tyler parut surpris.
— Qui ça ?
— Edward Cullen. Il était près de moi.
Même moi je ne fus pas convaincue par ce piètre mensonge.
— Cullen ? Je ne l'ai pas vu... Enfin, tout s'est passé si vite. Il va bien ?
— Il me semble. Il traîne dans les parages. Ils ne l'ont pas couché sur un brancard, lui.
Je savais que je n'étais pas folle. Qu'était-il arrivé ? Ce dont j'avais été témoin restait inexplicable.
Ils m'emmenèrent passer une radio du crâne. Je leur garantis que je n'avais rien du tout, et l'examen me donna raison. J'exigeai de partir, mais on me répliqua qu'il fallait d'abord que je voie un médecin. Bref, j'en fus réduite à patienter, harcelée par les constantes excuses de Tyler et ses promesses de s'amender. J'eus beau lui répéter x fois que j'étais en pleine forme, il ne cessa de se torturer. Finalement, je fermai les yeux et l'ignorai tandis qu'il poursuivait son monologue contrit.
— Elle dort ? s'enquit une voix harmonieuse un peu plus tard.
J'ouvris les paupières. Edward se tenait au pied de mon lit, une moue narquoise aux lèvres. Je le fusillai du regard. Ce ne fut pas simple — il m'était tellement plus naturel de le couver des yeux.
— Hé, Edward, je suis désolé... commença Tyler.
Mon sauveur l'arrêta d'une main.
— Il n'y a pas mort d'homme, le rassura-t-il en lui décochant son sourire étincelant.
Il alla s'asseoir sur le lit de Tyler, face à moi. De nouveau, son expression était sardonique.
— Alors, quel est le verdict ? me demanda-t-il.
— Je n'ai rien, mais ils refusent de me relâcher, me plaignis-je. Explique-moi un peu pourquoi tu n'es pas ficelé à une civière comme nous ?
— Simple question de relations. Ne t'inquiète pas, je me charge de ton évasion.
À cet instant, un médecin apparut au détour du couloir, et j'en restai coite. Il était jeune, blond... et plus beau que toutes les stars de cinéma que je connaissais. Il avait néanmoins le teint pâle, les traits tirés et des cernes sous les yeux. Si j'en croyais la description de Charlie, il s'agissait du père d'Edward.
— Alors, mademoiselle Swan, m'apostropha-t-il d'une voix remarquablement sexy, comment vous sentez-vous ?
— Très bien, affirmai-je (pour la dernière fois, j'espérai).
S'approchant du négatoscope, il l'alluma.
— Vos radios sont bonnes, m'annonça-t-il. Vous avez mal à la tête ? D'après Edward, vous avez subi un sacré choc.
— Tout est en ordre, soupirai-je en lançant un coup d'œil peu amène audit Edward.
Des doigts frais auscultèrent mon crâne avec légèreté.
— C'est douloureux ? s'inquiéta le docteur Cullen en remarquant que je tressaillais.
— Pas vraiment.
J'avais connu pire. Un rire étouffé attira mon attention — Edward me contemplait, une moue protectrice sur les lèvres. Mes yeux lancèrent des éclairs.
— Bon, votre père vous attend à côté. Vous pouvez rentrer. Mais n'hésitez pas à revenir si vous avez des étourdissements ou des troubles de la vision.
— Je ne peux pas retourner au lycée ?
Je voyais déjà Charlie s'essayant au rôle de mère poule.
— Vous feriez mieux de vous reposer, aujourd'hui.
— Et lui, il y retourne ? insistai-je en désignant Edward.
— Il faut bien que quelqu'un annonce la bonne nouvelle de notre survie, se justifia ce dernier avec condescendance.
— En fait, précisa le docteur Cullen, la plupart des élèves semblent avoir envahi les urgences.
— Oh, bon sang ! gémis-je en me cachant le visage dans les mains.
— Vous préférez rester ici ? s'enquit le médecin.
— Non, non ! me récriai-je en sautant du lit rapidement. Trop rapidement, car je titubai, et le père d'Edward me rattrapa, l'air soucieux.
— Ça va, assurai-je.
Inutile de lui préciser que mes problèmes d'équilibre ne devaient rien à l'accident.
— Prenez un peu d'aspirine si vous avez mal, suggéra-t-il en me remettant sur mes pieds.
— Ça n'est pas aussi affreux que ça.
— Il semble que vous ayez eu beaucoup de chance, conclut-il dans un sourire tout en signant d'un grand geste ma feuille de sortie.
— À mettre sur le compte d'Edward La Chance, précisai-je en toisant le sujet incriminé.
— Ah oui... c'est vrai, éluda le médecin qui s'absorba soudain dans les papiers qu'il tenait avant de s'intéresser à Tyler.
Mes soupçons se réveillèrent : le docteur Cullen était de mèche avec son fils.
— J'ai bien peur que vous ne deviez rester avec nous un peu plus longtemps, lança-t-il à Tyler en auscultant ses coupures.
Dès qu'il eut tourné le dos, je m'approchai d'Edward.
— Je peux te parler une minute ? sifflai-je.
Il recula d'un pas, lèvres crispées.
— Ton père t'attend, répliqua-t-il sur le même ton.
— J'aimerais avoir une petite discussion en privé, si tu veux bien, persistai-je après avoir jeté un coup d'œil au lit voisin.
Furibond, Edward tourna les talons et sortit de la pièce à grands pas, m'obligeant presque à courir pour le rattraper. Le coin du couloir à peine dépassé, il me fit face.
— Alors ? demanda-t-il, agacé, le regard froid.
Son hostilité m'intimida, et ce fut avec moins de sévérité que je l'eusse souhaité que je m'exprimai.
— Tu me dois une explication.
— Je t'ai sauvé la vie, je ne te dois rien du tout.
— Tu as juré, contrai-je, bien qu'ébranlée par l'animosité qui suintait de lui.
— Bella, tu as pris un coup sur la tête, tu délires.
— Ma tête va très bien ! ripostai-je, exaspérée.
— Que veux-tu de moi, Bella ?
— La vérité. Comprendre pourquoi tu me forces à mentir.
— Mais qu'est-ce que tu vas imaginer ?
— Je suis sûre que tu n'étais absolument pas à côté de moi. Tyler ne t'a pas vu, alors arrête de me raconter des bobards. Ce fourgon allait nous écraser tous les deux, et ça ne s'est pas produit. Tes mains ont laissé des marques dedans, et tu as aussi enfoncé l'autre voiture. Tu n'as pas une égratignure, le fourgon aurait dû m'écrabouiller les jambes mais tu l'as soulevé...
Me rendant soudain compte de la dinguerie de mes paroles, je me tus. J'étais si furieuse que je sentis les larmes affleurer : les ravalant, je serrai les dents. Lui me dévisageait avec incrédulité. Mais il était tendu, sur la défensive.
— Tu penses vraiment que j'ai réussi à soulever une voiture ?
Son ton laissait entendre que j'étais folle à lier, ce qui me rendit d'autant plus soupçonneuse. Car on aurait dit une réplique lancée à la perfection par un acteur de talent. J'acquiesçai avec raideur.
— Personne ne te croira, tu sais, affirma-t-il, vaguement moqueur.
— Je n'ai p
as l'intention de le crier sur les toits, répliquai-je en détachant chaque mot pour contenir ma rage.
Un étonnement fugace traversa son visage.
— Dans ce cas, quelle importance ?
— Pour moi, ça en a. Je n'aime pas mentir, alors tu as intérêt à me donner une bonne raison de le faire.
— Pourquoi ne pas te contenter de me remercier et oublier tout ça ?
— Merci.
J'attendis, furieuse, obstinée.
— Tu n'as pas l'intention de renoncer, hein ?
— Non.
— Alors... tu risques d'être déçue.
Nous nous toisâmes quelques instants. J'eus du mal à ne pas me laisser distraire par sa beauté livide. C'était un combat contre un ange destructeur, et je fus la première à rompre le silence.
— Pourquoi t'es-tu donné la peine de me sauver, alors ? demandai-je, glaciale.
L'espace d'une seconde, ses traits magnifiques prirent une expression étonnamment vulnérable.
— Je ne sais pas, chuchota-t-il.
Sur ce, il fit demi-tour et s'éloigna.
J'étais tellement remontée qu'il me fallut plusieurs minutes pour digérer cette dérobade. Ensuite, je me dirigeai lentement vers la sortie. Affronter la salle d'attente fut encore pire que prévu. À croire que tous les visages que je connaissais à Forks s'étaient donné rendez-vous pour me lorgner. Charlie se précipita vers moi, et je levai les mains.
— Je n'ai rien, le rassurai-je d'une voix boudeuse, car je n'étais pas d'humeur à papoter.
— Qu'a dit le médecin ?
— Que j'allais bien et que je pouvais rentrer à la maison.
Mike, Jessica, Éric étaient là et convergeaient vers nous.
— Allons-y, décrétai-je.
Mettant un bras derrière mon dos sans vraiment me toucher, Charlie me conduisit vers les portes vitrées qui ouvraient sur le parking. J'agitai piteusement la main en direction de mes amis, espérant ainsi les convaincre qu'ils n'avaient plus besoin de s'inquiéter. Monter dans la voiture de patrouille fut un véritable soulagement — comme quoi, tout peut arriver.
Le trajet se déroula en silence. Plongée dans mes pensées, j'avais à peine conscience de la présence de Charlie. Pour moi, l'attitude défensive d'Edward était la preuve de la bizarrerie de ce que j'avais vu, même si j'avais encore du mal à accepter l'inacceptable.
Une fois chez nous, Charlie ouvrit enfin la bouche.
— Euh... il faut que tu appelles Renée, marmonna-t-il en baissant la tête d'un air coupable.
— Tu as prévenu maman ! m'écriai-je, stupéfaite.
— Je suis désolé.
Je claquai la portière de la voiture un peu plus fort que nécessaire et entrai.
Ma mère était hystérique, naturellement. Je dus lui répéter au moins trente fois que je me sentais bien avant qu'elle ne se calme. Elle me supplia de rentrer à Phoenix — oubliant que la maison était vide — mais il me fut plus facile de résister à ses prières que je ne m'y étais attendue. Le mystère que représentait Edward me rongeait. Et Edward lui-même m'obsédait encore plus. Idiote, idiote, idiote ! Je n'avais aucune intention de fuir Forks ; contre toute logique ; ce que n'importe qui de censé et normal aurait fait.
Je préférai me coucher tôt. Charlie n'arrêtait pas de me regarder avec inquiétude, et ça me tapait sur le système. Je m'octroyai trois aspirines avant d'aller dormir. Une bonne idée, car la douleur s'estompa, et je ne tardai pas à m'assoupir.
Cette nuit-là, pour la première fois, je rêvai d'Edward Cullen.
4
INVITATIONS
Dans mon rêve, il faisait très sombre, et la lumière chiche semblait sourdre de la peau d'Edward. Je ne voyais pas son visage, seulement son dos, au fur et à mesure qu'il s'éloignait de moi, m'abandonnant dans l'obscurité. J'avais beau courir, je ne le rattrapais pas ; j'avais beau l'appeler, il ne se retournait pas. Troublée, je m'éveillai et ne retrouvai pas le sommeil avant ce qui me parut être un très long moment. Par la suite, il hanta mes songes presque chaque nuit, mais en restant toujours à la périphérie, hors d'atteinte.
Le mois qui suivit l'accident fut difficile, source de tensions, et, pour commencer, de gêne.
Consternée, je me retrouvai au centre de l'attention pour le reste de la semaine. Tyler Crowley était insupportable, me suivant partout, obsédé par le besoin de se racheter. Je m'évertuai à le persuader que mon désir le plus cher était qu'il oubliât toute l'affaire, d'autant que j'étais indemne, mais il n'en démordait pas. Il me poursuivait aux interclasses, déjeunait à notre table désormais surpeuplée. Mike et Éric étaient encore plus hostiles à son égard qu'ils ne l'étaient l'un envers l'autre, ce qui m'inquiétait — je n'avais nul besoin d'un nouvel admirateur.
Edward n'attisa l'intérêt de personne, en dépit de mes assurances répétées que c'était lui le héros, qu'il avait risqué sa vie en venant à ma rescousse. Malgré mes efforts pour être convaincante, Jessica, Mike, Éric, tout le monde affirmait ne pas l'avoir vu avant qu'on ait retiré le fourgon, ce qui m'amena à m'interroger. Pourquoi étais-je la seule à avoir remarqué qu'il se tenait aussi loin de moi avant de voler, brusquement, invraisemblablement, à mon secours ? Dépitée, je compris que c'était sans doute parce qu'aucun élève ne prêtait attention à lui comme moi. J'étais la seule à être fascinée. Pitoyable !
Il ne fut jamais entouré d'une foule de spectateurs curieux, avides d'entendre sa version de l'incident. Comme d'habitude, on l'évita. Les Cullen et les Hale continuèrent à s'asseoir à la même table, à ne pas manger, à ne parler qu'entre eux. Aucun d'eux, surtout pas lui, ne regarda plus dans ma direction.
Lorsqu'il était à côté de moi en classe, aussi loin que la paillasse le lui permettait, il paraissait totalement oublieux de mon existence. Ce n'était que quand il arrivait à ses poings de se fermer tout à coup — peau encore plus blanche que d'ordinaire, tendue sur les os — que je doutais de l'authenticité de son indifférence.
Il regrettait de m'avoir tirée de sous les roues de Tyler — il n'y avait pas d'autre explication.
J'avais vraiment envie de lui parler et, dès le lendemain de l'accident, le mardi, j'essayai. Lorsque nous nous étions quittés, à la sortie des urgences, nous étions tous deux en colère. La mienne n'avait pas cédé d'un pouce devant sa méfiance à mon égard alors que, de mon côté, je respectais ma part du marché sans faillir. Néanmoins, il m'avait sauvé la vie, quelle que soit la façon dont il s'y était pris. Et, le temps d'une nuit, la chaleur de ma fureur s'était fondue en une gratitude tout à la fois respectueuse et craintive.
Il était déjà installé quand j'arrivai au labo, fixant le tableau noir. Je m'assis, m'attendant à ce qu'il se tournât vers moi. Rien dans son attitude n'indiqua qu'il s'était rendu compte de ma présence.
— Bonjour, Edward, dis-je avec bonne humeur, histoire de lui montrer que j'avais des manières.
Sa tête pivota d'un millimètre, il me gratifia d'un très bref hochement de menton en évitant cependant mes yeux, puis il reprit sa position initiale.
Et ce fut le dernier contact que j'eus avec lui, alors qu'il était là, à portée de main, quotidiennement. Je l'observais, parfois, parce que j'étais incapable de m'en abstenir — mais à distance, à la cafétéria ou sur le parking. Je voyais ses yeux dorés s'assombrir imperceptiblement au fil des jours. En cours, cependant, je me montrais aussi indifférente à son égard que lui au mien. J'étais malheureuse. Et les rêves se poursuivaient.
En dépit de mes mensonges éhontés, la teneur de mes mails alerta Renée sur mon état dépressif, et elle téléphona à plusieurs reprises, soucieuse. Je mis ma baisse de moral sur le compte du climat.
Il y en eut au moins un pour se réjouir de la froideur de mes relations avec mon partenaire de sciences nat — Mike. Je compris qu'il avait craint que le sauvetage audacieux d'Edward ne m'eût impressionné. Il était soulagé de constater qu'il avait plutôt produit l'effet inverse. Il s'enhardit, s'asseyant au bord de ma paillasse pour discuter biologie avant le début des
cours, snobant Edward avec autant d'application que ce dernier nous ignorait.
La neige disparut pour de bon, après ce jour de verglas périlleux. Mike regrettait sa bataille de boules de neige repoussée aux calendes grecques, mais se rattrapait avec l'idée que l'excursion au bord de la mer serait bientôt possible. Néanmoins, la pluie ne cessa de tomber, et les semaines passèrent.
Jessica m'alerta sur une nouvelle menace lorsqu'elle m'appela, le premier mardi de mars, pour me demander la permission d'inviter Mike au bal de printemps qui aurait lieu dans deux semaines. C'était aux filles de choisir leur cavalier.
— Tu es sûre que ça ne t'embête pas... tu ne comptais pas lui en parler ? insista-t-elle quand je lui eus répondu que je n'avais aucune objection.
— Non, Jess, je n'irai pas.
Danser dépassait largement mes compétences.
— Tu sais, c'est drôlement sympa, pourtant.
Ses tentatives pour me convaincre de venir ne furent guère enthousiastes. Je la soupçonnai de préférer mon inexplicable popularité à ma compagnie.
— Amuse-toi bien avec Mike.
Le lendemain, en cours de maths et d'espagnol, je m'étonnai de voir que Jessica avait perdu son exubérance coutumière. C'est en silence qu'elle m'accompagna en classe, et je n'osai lui demander la raison de ce mutisme. Si Mike avait décliné son invitation, j'étais la dernière personne à qui elle se confierait. Mes craintes furent confirmées pendant le déjeuner, quand elle s'assit aussi loin que possible de Mike et entreprit Éric avec animation. De son côté, Mike se montra inhabituellement calme. Il ne se dérida que lorsqu'il m'escorta en biologie. Son air gêné me parut de mauvais augure. Il n'aborda pas le sujet avant que je fusse assise et lui perché sur mon bureau. Comme toujours, j'étais électrifiée, consciente de la proximité d'Edward (j'aurais pu le toucher) et de sa distance (à croire qu'il n'était que le fruit de mon imagination).
— Tu sais, se lança Mike, les yeux vissés sur le plancher, Jessica m'a invité au bal.