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  Table des Matières

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  Prologue

  1 - Ultimatum

  2 - Liberté

  3 - Motivations

  4 - Nature

  5 - Imprégnation

  6 - Neutralité

  7 - Toutes les histoires ne finissent pas bien

  8 - Mauvais caractère

  9 - Cible

  10 - Indices

  11 - Légendes

  12 - Le temps

  13 - Nouveau-né

  14 - Déclaration

  15 - Pari

  16 - Fin d’une époque

  17 - Alliance

  18 - Instructions

  19 - Égoïste

  20 - Compromis

  21 - Traces

  22 - Le feu et la glace

  23 - Monstre

  24 - Imprévu

  25 - Reflet

  26 - Morale

  27 - Besoins

  Épilogue — Décision

  L'édition originale de ce roman a paru sous le titre :

  ECLIPSE

  © Stephenie Meyer, 2007

  This edition published by arrangement with Little, Brown and Company (Inc.)

  New York, New York, USA. All rights reserved.

  © Hachette Livre, 2007 pour la traduction française et la présente eédition. Hachette Livre, 43 quai de Grenelle, 75015 Paris.

  978-2-012-01972-0

  00/0000/0

  À mon mari, Pancho, pour sa patience, son amour, son amitié, son humour et son empressement à dîner dehors.

  À mes enfants aussi, Gabe, Seth et Eli, pour m’avoir offert de goûter à un amour pour lequel plus d’un serait prêt à mourir.

  Fire and Ice

  Some say the world will end in fire,

  Some say in ice.

  From what I’ve tasted of desire

  I hold with those who favor fire.

  But if it had to perish twice,

  I think I know enough of hate

  To say that for destruction ice

  Is also great

  And would suffice.

  Robert Frost1

  1 Poète américain (1874-1963). (Toutes les notes sont du traducteur.)

  Prologue

  Tous nos subterfuges s’étaient révélés vains.

  Le cœur glacé, je le regardai se préparer à me défendre. Son intense concentration trahissait une assurance absolue, en dépit du surnombre de nos ennemis. Inutile d’espérer de l’aide — en ce moment même, les siens luttaient pour leur vie, à l’instar de ce que lui s’apprêtait à faire pour nous.

  Saurais-je jamais comment cet autre combat se terminerait ? Découvrirais-je qui avait gagné, qui perdu ? Vivrais-je assez longtemps pour cela ?

  Les chances étaient minces.

  Des prunelles noires que le désir forcené de me voir morte teintait d’un féroce éclat guettaient l’instant où faiblirait l’attention de mon protecteur ; l’instant qui marquerait à coup sûr mon trépas.

  Quelque part au loin, dans les tréfonds de la forêt glacée, un loup hurla.

  1

  Ultimatum

  Mes doigts caressèrent la feuille, s’arrêtant sur les creux où il avait appuyé si fort sa plume que le papier avait failli se déchirer. Je l’imaginais rédigeant cette missive, traçant maladroitement de son écriture grossière les mots furieux, barrant ligne après ligne les phrases insatisfaisantes, jusqu’à briser de ses mains puissantes, peut-être, son stylo, ce qui expliquerait les taches d’encre. Je devinais ses sourcils sombres se fronçant sous l’effet de la frustration, les rides de son front. Aurais-je été là-bas, je me serais esclaffée : « Pas la peine de te coller la migraine, Jacob. Crache le morceau. »

  Rire était cependant la dernière chose dont j’avais envie, tandis que je relisais ces mots que je connaissais par cœur. Sa réponse à ma supplication — transmise par l’intermédiaire de Charlie et de Billy, exactement comme des élèves de primaire, ainsi qu’il l’avait souligné — ne me surprenait pas. J’avais pressenti la teneur du pli avant que de l’avoir ouvert.

  M’étonnait toutefois la force avec laquelle chacune de ses lignes raturées me blessait, à croire que les pointes des lettres étaient tranchantes. Et puis, tous ces débuts rageurs cachaient mal un océan de douleur ; la souffrance de Jacob me tailladait plus que ma propre peine.

  Fourrant la page froissée dans ma poche arrière, je descendis à toutes jambes au rez-de-chaussée. Juste à temps ! Le bocal de sauce tomate que Charlie avait flanqué dans le micro-ondes n’avait effectué qu’un tour lorsque j’interrompis vivement les opérations.

  — Qu’est-ce que j’ai encore fait ? grommela mon père.

  — Tu es censé retirer le couvercle avant, papa. Le métal bousille les micro-ondes.

  Tout en parlant, j’ouvris le bocal, en vidai la moitié dans un bol que je plaçai au four avant de ranger le restant de sauce dans le réfrigérateur. J’enclenchai la minuterie et appuyai sur le bouton.

  — M’en suis-je mieux tiré avec les pâtes ? s’enquit Charlie.

  Il m’avait observée agir, lèvres pincées. Je regardai, sur la cuisinière, la casserole — source de l’odeur qui m’avait alertée.

  — Remuer aide, lui répondis-je gentiment.

  Dénichant une cuiller, j’entrepris de décoller le tas gluant qui avait attaché au fond. Il soupira.

  — Explique-moi un peu ce qu’il t’arrive, lançai-je.

  Mon père croisa les bras sur son torse et fixa la pluie qui, derrière les fenêtres, tombait à seaux.

  — Je ne vois pas de quoi tu parles, marmonna-t-il.

  Charlie aux fourneaux ? J’étais perplexe. Ajoutons-y son attitude revêche. Edward n’était pas encore là ; d’ordinaire, mon père réservait ce genre de comportement à mon petit ami, déployant des trésors d’imagination tant dans ses paroles que dans ses postures afin de lui faire sentir à quel point il n’était pas le bienvenu. Ces efforts étaient d’ailleurs inutiles — Edward savait très précisément ce que pensait Charlie sans avoir besoin de ces représentations.

  Petit ami… Je me surpris à mordiller l’intérieur de ma joue, en proie à une tension familière. Ces mots n’étaient pas les bons, n’exprimant en rien l’engagement éternel qui était le nôtre. Certes, les termes « destinée » ou « sort » sonnaient ridicules dans une conversation courante. Edward en avait un autre à l’esprit, origine de ma tension. Rien que d’y songer, j’étais nerveuse. « Fiancée ». Pouah ! J’en frissonnai.

  — Aurais-tu quelque chose à m’annoncer ? repris-je. Depuis quand prépares-tu le dîner ? Ou, du moins, t’y essayes-tu ? ajoutai-je en enfonçant dans l’eau les spaghettis amalgamés.

  — Nulle loi n’interdit que je cuisine dans ma propre maison, rétorqua Charlie avec un haussement d’épaules.

  — Tu serais en effet au courant, répliquai-je avec bonne humeur en regardant le badge de shérif épinglé sur son blouson de cuir.

  — Très drôle.

  Il retira le vêtement, comme si, avant mon coup d’œil, il avait oublié qu’il le portait encore, et alla le suspendre à la patère. La ceinture et l’étui de son pistolet s’y trouvaient déjà. Il n’avait pas jugé nécessaire de les emporter au commissariat depuis plusieurs semaines. Les disparitions susceptibles de troubler la petite ville de Forks, dans l’État de Washington, avaient cessé. Plus aucun témoin ne venait jurer avoir aperçu de mystérieux loups géants dans les bois de cette région éternellement humide.

  Je n’insistai pas, sachant que Charlie finirait par m’avouer en temps voulu ce qui le préoccupait. Il était d’un naturel taciturne ; ses tentatives malheureuses pour orchestrer le dîner à ma place laissaient supposer qu’il avait nombre de choses �
� dire ce soir-là. Par habitude, je jetai un coup d’œil à la pendule, geste que j’avais tendance à répéter fréquemment à cette heure. Plus que trente minutes.

  Les après-midi constituaient l’étape la plus difficile de mes journées. Depuis que mon ancien et meilleur ami (loup-garou de surcroît) Jacob Black avait crié haut et fort que je faisais de la moto en douce — trahison destinée à ce que je sois punie et privée de la compagnie de mon amoureux (et vampire) Edward Cullen —, ce dernier n’avait l’autorisation de me fréquenter que de dix-neuf à vingt et une heures trente, dans le confinement de ma maison et sous la surveillance rapprochée, réprobatrice et grincheuse de mon père. Ce châtiment s’ajoutait aux mesures de rétorsion que j’avais récoltées pour avoir disparu sans explication durant trois jours et m’être amusée à sauter dans la mer du haut d’une falaise.

  Certes, je continuais à côtoyer Edward au lycée, Charlie ne pouvant décemment s’y opposer. Par ailleurs, Edward passait presque toutes ses nuits dans ma chambre, ce dont mon géniteur n’était toutefois pas averti. La faculté qu’avait mon ami de se hisser sans bruit jusqu’à ma fenêtre, à l’étage, était aussi utile que sa capacité à déchiffrer les pensées de mon père.

  Bref, les après-midi avaient beau être les seuls moments où j’étais séparée d’Edward, ils me pesaient, interminables. J’endurais pourtant ma condamnation sans protester : et d’une, je l’avais amplement méritée ; et de deux, je n’aurais pas supporté de heurter Charlie en déménageant (j’étais majeure, après tout), alors qu’une séparation beaucoup plus définitive se dessinait à l’horizon, ce qu’il ignorait.

  Bougon, il s’attabla et déplia le journal humide ; quelques secondes après, il émettait des claquements de langue mécontents.

  — Je ne comprends pas pourquoi tu lis les nouvelles si ça doit te mettre dans cet état, papa.

  — Voilà pourquoi tout le monde souhaite habiter de petites villes, éluda-t-il en plissant le nez.

  — Allons bon ! Que reproches-tu aux grandes, à présent ?

  — Seattle est en bonne position pour décrocher le titre de capitale du meurtre. Cinq homicides non élucidés ces deux dernières semaines. Tu te vois vivre dans pareille ambiance ?

  — Il me semble que Phoenix est plus dangereuse, or j’y ai vécu des années.

  Et je n’avais jamais autant risqué d’être victime d’un assassinat que depuis mon installation dans la charmante bourgade de Forks qu’il croyait si sûre. Plusieurs tueurs étaient encore à mes trousses, du reste. Dans ma main, la cuiller trembla, déclenchant les frissons de l’eau.

  — Eh bien moi, on me paierait que je refuserais d’y emménager, décréta Charlie.

  Renonçant à sauver notre repas, je le servis. Je dus recourir à un couteau à viande pour couper les spaghettis. Mon père affichait une mine penaude. Il recouvrit sa part de sauce et s’y attaqua. Je suivis son exemple sans grand enthousiasme. Nous mangeâmes en silence pendant quelques instants. Charlie étant retourné à ses articles, je m’emparai de mon exemplaire défraîchi des Hauts de Hurlevent et tentai de me perdre dans l’Angleterre de la fin du XIXe siècle en attendant qu’il daigne m’adresser la parole.

  J’en étais au moment où Heathcliff revient, lorsque Charlie se racla la gorge et jeta le journal par terre.

  — C’est vrai, dit-il, j’avais une raison de préparer… ça. (Il brandit sa fourchette en direction de son assiette.) Je voulais te parler.

  Je reposai mon livre ; la reliure en était si abîmée qu’il s’écrasa à plat sur la table.

  — Il suffisait de le dire, répondis-je.

  Il acquiesça, sourcils froncés.

  — Je tâcherai de m’en souvenir, la prochaine fois. Je pensais que te débarrasser de la corvée de cuisine te mettrait de meilleure humeur.

  — Et ça marche ! ris-je. Tes talents de chef m’ont ramollie comme une guimauve. Allez, je t’écoute.

  — Ça concerne Jacob.

  — Qu’est-ce qu’il a, Jacob ? ripostai-je, lèvres serrées, en me fermant comme une huître.

  — Du calme, Bella. Je sais que tu ne lui as pas pardonné son mouchardage, mais il a eu raison. Il s’est comporté de manière responsable.

  — Pardon ? m’offusquai-je en levant les yeux au ciel. Enfin, passons. Alors, qu’en est-il ?

  Cette question anodine résonna dans mon esprit, rien moins que banale. Qu’en était-il de Jacob, en effet ? Qu’allais-je faire à son sujet ? Mon ancien ami était désormais… quoi ? Mon ennemi ?

  — Ne t’énerve pas, d’accord ? plaida Charlie, les traits soudain soucieux.

  — Pourquoi m’énerverais-je ?

  — Eh bien… Edward est également concerné.

  Je grimaçai.

  — Je lui permets de venir ici, non ? se défendit mon père.

  — Oui. Pour des visites chronométrées à la seconde près. À propos, ne pourrais-tu pas m’autoriser à sortir d’ici ? J’ai été plutôt sage, non ?

  Le tout dit sur le ton de la plaisanterie. Je savais pertinemment que j’étais punie jusqu’à la fin de l’année scolaire.

  — Justement, j’y arrivais.

  De manière assez inattendue, le visage de Charlie se fendit d’un grand sourire. Un instant, il parut rajeunir de vingt ans. J’entrevis une vague possibilité dans ce sourire, décidai cependant de rester prudente.

  — Excuse-moi, je suis perdue. De quoi discutons-nous ? De Jacob ? D’Edward ? De ma punition ?

  — Un peu des trois.

  — Et… le lien ?

  — Bon, d’accord, soupira-t-il en levant les mains comme s’il rendait les armes. J’estime que tu mérites une remise de peine pour bon comportement. J’ai rarement rencontré d’adolescente aussi peu pleurnicheuse que toi.

  — Tu es sérieux ? m’écriai-je, ahurie. Je suis libre ?

  D’où venait cette soudaine mansuétude ? J’avais été certaine de rester aux arrêts jusqu’à ce que je quitte définitivement la maison, et Edward n’avait rien décelé de ce retournement de situation dans l’esprit de mon père. Ce dernier leva un doigt.

  — À une condition.

  — Super, grognai-je, douchée.

  — Écoute, il s’agit plus d’une requête que d’un ordre. Tu es libre. J’espère seulement que tu utiliseras cette liberté de manière… judicieuse.

  — Précise.

  Une fois encore, il poussa un soupir.

  — J’ai conscience que la compagnie d’Edward te suffit…

  — Je passe aussi du temps avec Alice, l’interrompis-je.

  La sœur d’Edward n’était pas soumise aux heures de visite ; elle allait et venait comme bon lui semblait. Entre ses mains habiles, Charlie n’était qu’un jouet.

  — Oui, mais tu as des amis en dehors des Cullen. Ou du moins, tu en avais.

  Nous nous dévisageâmes un long moment.

  — Quand as-tu discuté avec Angela Weber pour la dernière fois ? finit-il par lâcher.

  — Vendredi midi, ripostai-je aussitôt.

  Avant le retour d’Edward à Forks, mes camarades de classe s’étaient divisés en deux groupes que j’aimais à opposer en « bons » et « méchants », « nous » et « eux ». Les gentils étaient Angela, son amoureux Ben Cheney, ainsi que Mike Newton. Tous trois m’avaient généreusement pardonné ma folie après qu’Edward m’avait quittée. Lauren Mallory était l’âme damnée de la bande des vilains, laquelle regroupait pratiquement tous mes pairs, y compris ma première amie, Jessica Stanley, qui paraissait s’entendre à merveille avec le clan des anti-Bella.

  Edward revenu dans le jeu, la ligne de séparation s’était encore accentuée. Sa réapparition avait laissé des traces sur l’amitié que me portait Mike. Angela, elle, m’était restée loyale, et Ben avait suivi le mouvement. En dépit de l’aversion naturelle que la plupart des humains éprouvaient pour les Cullen, Angela se faisait un point d’honneur de s’asseoir au côté d’Alice, tous les jours à la cantine. Au bout de quelques semaines, elle avait même semblé être à l’aise. Il était diffi
cile de rester insensible au charme des Cullen une fois qu’on les laissait exercer leur pouvoir de séduction.

  — En dehors du lycée, insista Charlie, me ramenant à la réalité.

  — Comment aurais-je vu qui que ce soit en dehors du lycée ? Tu m’as punie, je te rappelle. Angela a un petit copain, elle aussi. Elle est toujours fourrée avec. Si tu décides de me lâcher la bride, nous pourrons sans doute sortir tous les quatre ensemble, d’ailleurs.

  — J’entends bien. N’empêche… Toi et Jake étiez comme des siamois. Maintenant…

  — Va droit au but, le coupai-je. Quelle est ta condition ?

  — J’estime que tu ne devrais pas négliger tes amis au profit du seul Edward, Bella, lança-t-il d’une voix ferme. Ce n’est pas bien. Je crois aussi que ta vie serait plus équilibrée si tu y intégrais d’autres personnes. Ce qui s’est passé en septembre dernier…

  Je sursautai.

  — Eh bien, se justifia-t-il, si tu avais eu une vie en dehors d’Edward Cullen, les choses se seraient déroulées différemment.

  — Non, elles auraient été pareilles, murmurai-je.

  — Va savoir.

  — Qu’attends-tu de moi ?

  — Que tu mettes à profit ta liberté pour fréquenter d’autres camarades. Que tu rétablisses un équilibre.

  — D’accord, acquiesçai-je lentement. As-tu défini des quotas ?

  — Restons simples, maugréa-t-il. Je te demande simplement de ne pas oublier tes amis.

  Mes amis. C’était un dilemme avec lequel je me débattais depuis un moment déjà. Des gens que, pour leur propre sécurité, je ne recontacterais plus jamais après mon bac. Quelle était la meilleure façon d’agir ? Les voir le plus possible tant que cela m’était donné ou amorcer dès à présent notre séparation, en douceur ? Cette seconde solution, avec ce qu’elle supposait de préparation, me rebutait.

  — Surtout Jacob, ajouta Charlie.

  Un problème encore plus épineux que le premier, qui m’obligea à choisir soigneusement mes mots.

  — Ça risque d’être… difficile.

  — Les Black sont presque de la famille, Bella, protesta Charlie sur un ton sévère et très paternaliste. Jacob a été un très, très bon ami pour toi.