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Fascination Page 9
Fascination Read online
Page 9
— Ça ne va pas, Bella ? me demanda anxieusement M. Banner, soudain tout près de moi.
— Je connais déjà mon groupe sanguin, monsieur, chuchotai-je sans oser lever la tête.
— Un étourdissement ?
— Oui, murmurai-je en me giflant intérieurement pour ne pas avoir séché alors que j'en avais l'occasion.
— Quelqu'un peut-il emmener Bella à l'infirmerie ? lança-t-il à la ronde.
Je n'eus pas besoin de regarder pour savoir que Mike se portait volontaire.
— Tu vas arriver à marcher ? s'enquit le prof.
— Oui.
J'aurais rampé s'il l'avait fallu ! Mike me parut bien empressé d'enlacer ma taille et de glisser mon bras sur son épaule. Lourdement appuyée contre lui, je me laissai entraîner à travers le campus. Une fois la cafétéria contournée et hors de vue de M. Banner, je m'arrêtai.
— Accorde-moi une seconde de répit, Mike, s'il te plaît.
Il m'aida à m'asseoir au bord de l'allée.
— Et garde tes mains dans tes poches, ajoutai-je, peu amène.
Je me couchai sur le flanc, la joue collée sur le ciment humide et glacé, et fermai les yeux, ce qui me soulagea un peu.
— La vache, tu es toute verte ! lâcha Mike, nerveux.
— Bella ? appela quelqu'un, non loin là.
Zut ! Pas cette voix atrocement familière ! Pourvu que je délire !
— Que se passe-t-il ? Elle est blessée ?
Il s'était rapproché, et il semblait inquiet. Malheureusement, je ne délirais pas. Je serrai encore plus fort les paupières et priai pour mourir. Du moins, pour ne pas vomir.
— Je crois qu'elle a perdu connaissance, bégaya Mike, embêté. Je ne sais pas pourquoi, elle n'a même pas eu le temps de se piquer le doigt.
— Bella, tu m'entends ? reprit Edward, apparemment soulagé.
— Non, gémis-je. Fiche le camp.
Il rit.
— Je l'emmenais à l'infirmerie, se justifia Mike, mais elle n'a pas réussi à aller plus loin.
— Je m'en occupe. Toi, retourne en cours.
— Non ! On me l'a confiée.
Tout à coup, le sol s'éloigna. Stupéfaite, j'ouvris les yeux. Edward m'avait soulevée aussi facilement que si j'avais pesé cinq kilos et non cinquante-cinq.
— Lâche-moi !
« Seigneur, faites que je ne dégobille pas sur lui ! » Il était parti avant même que j'eusse terminé ma phrase.
— Hé ! protesta Mike, déjà à dix mètres de nous.
Edward l'ignora.
— Tu as une mine affreuse, m'annonça-t-il en souriant de toutes ses dents.
— Repose-moi par terre, grognai-je.
Les balancements de sa démarche n'arrangeaient rien. Il me tenait à bout de bras, précautionneux, sans effort apparent.
— Alors, comme ça, tu t'évanouis à la vue du sang ? persifla-t-il comme si c'était des plus amusants.
Je ne répondis pas. Refermant les yeux, je combattis de toutes mes forces la nausée, lèvres closes.
— Et il ne s'agit même pas du tien, continua-t-il, euphorique.
J'ignore comment il se débrouilla pour pousser la porte avec moi dans ses pattes mais, soudain, une vague de chaleur m'enveloppa, et je devinai que j'étais à l'intérieur.
— Oh, mon Dieu ! s'écria une voix féminine.
— Elle est tombée dans les pommes pendant le cours de biologie, expliqua Edward.
J'ouvris les paupières. J'étais à l'accueil, et Edward longeait le comptoir à grands pas en direction de l'infirmerie. Mme Cope, la secrétaire à cheveux rouges, courut en avant pour lui tenir le battant. Surprise, l'infirmière aux allures de grand-mère s'arracha à son roman lorsqu'il surgit dans la pièce et me déposa doucement sur l'alèse en papier craquant qui recouvrait le matelas de vinyle brun d'un des lits. Puis il alla s'adosser contre un mur, aussi loin que l'endroit étriqué le lui permettait. Son regard brillait d'excitation.
— Rien qu'une petite perte de connaissance, rassura-t-il l'infirmière. On pratiquait un test sanguin en sciences nat.
— Ça ne rate jamais, acquiesça la veille dame, du ton de celle qui en avait vu d'autres.
Edward étouffa un rire.
— Reste allongée un moment, petite, ça va passer.
— Je sais, soupirai-je.
Mes haut-le-cœur s'estompaient déjà.
— Ça t'arrive souvent ?
— Parfois, avouai-je.
Edward toussa pour dissimuler un nouvel accès d'hilarité.
— Tu peux retourner en cours, l'informa l'infirmière.
— Je suis censé rester avec elle.
Il avait parlé avec tellement d'autorité que la grand-mère n'insista pas, s'en tenant à une moue contrariée.
— Je vais chercher un peu de glace pour ton front, petite, enchaîna-t-elle avant de filer hors de la pièce.
— Tu avais raison, marmonnai-je.
— C'est souvent le cas. À propos de quoi, cette fois ?
— Sécher est bon pour la santé.
Je m'entraînais à respirer de façon égale.
— Tu m'as flanqué une sacrée frousse, admit-il après un bref silence, comme s'il confessait là une faiblesse humiliante. J'ai cru que Mike Newton s'apprêtait à aller enterrer ta dépouille dans la forêt.
— Ha, ha.
Je commençais à me sentir mieux.
— Franchement, j'ai vu des cadavres qui avaient meilleure mine. J'ai craint un instant de devoir venger ton assassinat.
— Pauvre Mike. Je parie qu'il est furax.
— Il me déteste, admit gaiement Edward.
— Tu n'en sais rien, objectai-je avant de me demander brusquement si, au contraire, il le savait très bien.
— J'en suis sûr, je l'ai lu sur son visage.
— Comment se fait-il que tu nous aies aperçus ? Je croyais que tu avais quitté le lycée...
J'étais presque remise, maintenant. Mon malaise serait passé plus vite si j'avais avalé quelque chose au déjeuner. D'un autre côté, il n'était pas plus mal que j'aie eu l'estomac vide.
— J'écoutais un CD dans ma voiture.
De sa part, une réponse aussi normale m'étonna. La porte s'ouvrit, et l'infirmière réapparut, une compresse froide à la main.
— Tiens, me dit-elle en la déposant sur mon front. Tu as repris des couleurs.
— Je crois que ça va, répondis-je en m'asseyant.
Rien qu'un petit bourdonnement dans les oreilles. Pas de vertige. Les murs vert menthe restèrent à leur place. Au moment où la grand-mère allait m'ordonner de me rallonger, le battant s'entrebâilla de nouveau, et Mme Cope passa la tête à l'intérieur.
— Nous en avons un deuxième, annonça-t-elle.
Je bondis sur mes pieds afin de libérer la place pour le prochain invalide.
— Tenez, je n'en ai pas besoin, déclarai-je en rendant sa compresse à l'infirmière.
Mike entra en titubant. Il soutenait un autre élève de notre cours de biologie, Lee Stephens. Ce dernier était jaunâtre. Edward et moi reculâmes pour leur laisser le champ libre.
— Flûte, marmonna Edward. Va dans le bureau, Bella.
Décontenancée, je le regardai.
— Fais-moi confiance et file.
Tournant rapidement les talons, j'attrapai la porte avant qu'elle se referme et m'éjectai de l'infirmerie, Edward à mes basques.
— Tu m'as obéi, pour une fois, s'étonna-t-il.
— J'ai détecté l'odeur du sang, expliquai-je en fronçant le nez.
Contrairement à moi, Lee n'avait pas flanché rien qu'en observant les autres.
— Pour la plupart des gens, le sang n'a pas d'odeur.
— Pour moi si. Un mélange de rouille... et de sel. Qui me rend malade.
Il me dévisagea avec une expression insondable.
— Quoi ?
— Rien.
Mike surgit dans la pièce. Il nous balaya brièvement du regard. Sa façon d'observer Edward me confirma qu'il détestait ce dernier. Maussade, i
l se tourna vers moi.
— Tu as l'air d'aller beaucoup mieux, me lança-t-il d'un ton accusateur.
— Contente-toi de garder tes mains dans tes poches, répliquai-je.
— Le test est fini, bougonna-t-il. Tu reviens en cours ?
— Tu plaisantes ? Je me retrouverais aussi sec ici.
— Mouais... Au fait, tu es partante, pour ce week-end ? La balade à la mer ?
Tout en me parlant, il adressa un nouveau coup d'œil peu amène à Edward qui, appuyé au comptoir surchargé, était perdu dans la contemplation du vide, aussi immobile qu'une statue.
— Bien sûr, acquiesçai-je en adoptant le ton le plus amical dont j'étais capable. C'était entendu, non ?
— Rendez-vous au magasin de mon père, alors. À dix heures.
Il toisa Edward derechef. Apparemment, il s'inquiétait d'en avoir trop dit. Tout dans son attitude laissait clairement entendre que l'invitation ne le concernait pas.
— J'y serai, promis-je.
— On se voit en gym, termina Mike en se dirigeant d'un pas incertain vers la sortie.
— C'est ça.
Il me regarda une dernière fois, sa figure ronde vaguement boudeuse, puis franchit lentement le seuil, les épaules basses. J'eus un élan de remords. Je n'étais pas sûre de pouvoir affronter sa déception au cours suivant.
— Ah, la gym ! grognai-je.
— Je peux arranger ça.
Je n'avais pas prêté attention à Edward, maintenant tout près de moi.
— Va t'asseoir et tâche d'avoir l'air malade, murmura-t-il à mon oreille.
Ce n'était pas très difficile. J'étais pâle de nature, et mon évanouissement avait laissé une pellicule de transpiration sur mon visage. Je m'affalai sur une des chaises pliantes et appuyai ma tête contre le mur. Je ressortais toujours épuisée de mes accès de faiblesse.
Au comptoir, Edward parlait doucement.
— Madame Cope ?
— Oui ?
— Bella a cours de gym, après, et je ne pense pas qu'elle soit assez bien. En fait, je me demande si je ne devrais pas la ramener chez elle. Vous croyez que vous pourriez lui épargner cette épreuve ?
Sa voix ressemblait à du miel onctueux. Je devinai que ses pupilles étaient encore plus irrésistibles.
— Et toi, Edward, tu as aussi besoin d'un mot d'excuse ? pépia la secrétaire d'un ton aguicheur.
Pourquoi étais-je incapable de prendre des intonations pareilles ?
— Non. J'ai Mme Goff, elle comprendra.
— Bon. C'est d'accord. Tu te sens mieux, Bella ? me lança Mme Cope.
J'acquiesçai faiblement, à peine cabotine.
— Tu es en état de marcher ou il faut que je te porte ?
Maintenant qu'il tournait le dos à la secrétaire, Edward s'autorisait à persifler.
— Je me débrouillerai.
Je me levai prudemment — ça allait. Il me tint la porte, un sourire poli aux lèvres mais le regard moqueur. Je sortis dans le brouillard froid et léger qui venait de tomber. Ça me fit du bien — c'était la première fois que j'étais heureuse de l'humidité permanente que déversait le ciel — et nettoya mon visage de sa sueur collante.
— Ça vaudrait presque le coup d'être malade, ne serait-ce que pour manquer la gym, dis-je tandis qu'il me suivait dehors. Merci.
— De rien.
Il fixait l'horizon, les yeux plissés sous les assauts de la pluie.
— Tu viendras ? Samedi ?
J'aurais bien aimé, quoique cela parût hautement improbable. Je le voyais mal s'entasser dans une voiture avec les autres élèves du lycée. Il n'était pas du même monde. Mais le simple espoir de sa présence suffisait à me donner un peu d'enthousiasme à la perspective de cette virée.
— Où allez-vous, exactement ? s'enquit-il, toujours aussi distant.
— À La Push. First Beach, pour être exacte.
Ses traits se crispèrent imperceptiblement, mais je ne réussis pas à déchiffrer son expression. Me jetant un coup d'œil en biais, il m'adressa une moue sarcastique.
— Je ne crois pas avoir été invité.
— Qu'est-ce que je suis en train de faire ? soupirai-je.
— Soyons sympa avec ce pauvre Mike, toi et moi. Ne le provoquons pas plus que nécessaire. Nous ne voudrions pas qu'il morde.
Une lueur malicieuse dansa dans ses pupilles. Cette éventualité le réjouissait plus que de raison.
— Maudit Mike, marmonnai-je, préoccupée par la manière dont Edward avait dit « toi et moi », qui me plaisait un peu trop.
Nous avions atteint le parking. Je tournai à gauche en direction de ma camionnette. Edward attrapa mon coupe-vent et me tira sèchement en arrière.
— Où crois-tu aller, comme ça ? demanda-t-il, offensé.
— Ben... à la maison.
— J'ai promis de te ramener saine et sauve chez toi. Tu t'imagines que je vais te laisser conduire dans cet état ?
Il était presque indigné.
— Quel état ? Et ma voiture ?
— Alice te la déposera après les cours.
Il me remorquait vers son propre véhicule avec tant de vivacité que j'eus du mal à ne pas tomber à la renverse. Serait-ce arrivé, il m'aurait probablement traînée par terre.
— Lâche-moi ! criai-je.
Il m'ignora, et je titubai comme un crabe jusqu'à la Volvo, où il me libéra enfin. Je m'affalai contre la portière passager.
— Quelle délicatesse ! me révoltai-je.
— C'est ouvert, se contenta-t-il de répliquer en s'installant derrière le volant.
— Je suis parfaitement capable de rentrer chez moi toute seule !
Debout à côté de la voiture, je fulminais. Il pleuvait plus fort, à présent, et comme je n'avais pas mis ma capuche, mes cheveux dégoulinaient dans mon dos. Il baissa la fenêtre automatique et se pencha vers moi par-dessus le siège.
— Monte, Bella.
Je ne répondis pas. J'étais en train de calculer mes chances de parvenir à ma fourgonnette avant qu'il ne me rattrape. Avouons-le, elles ne pesaient pas bien lourd.
— Je te jure que je te traînerai là-bas par la tignasse s'il le faut, me prévint-il, comme s'il avait deviné mes plans.
Je cédai en essayant de conserver le peu de dignité qu'il me restait. Ce ne fut pas très réussi. J'avais l'air d'un chaton à demi noyé, et mes chaussures gorgées d'eau chuintèrent.
— Tout cela est inutile, lâchai-je avec raideur.
Il laissa passer. Tripotant les boutons, il augmenta le chauffage et baissa le volume du lecteur CD. Nous sortîmes du parking. Décidée à ne pas lui décocher un mot de tout le trajet, j'adoptai une mine renfrognée de rigueur. Malheureusement, je reconnus la musique, et ma curiosité l'emporta sur mes résolutions.
— Clair de Lune ? m'exclamai-je, surprise.
— Tu connais Debussy ? riposta-t-il, tout aussi éberlué.
— Pas bien, admis-je. Ma mère est une fan de classique. Je ne reconnais que mes morceaux préférés.
— C'est également l'un de mes favoris.
Les yeux fixés sur le pare-brise, il s'abîma dans ses pensées. J'écoutai le piano et m'installai plus confortablement dans le siège en cuir gris clair. Il était impossible de résister à la mélodie familière et apaisante. Dehors, la pluie gommait les contours de toutes choses, les réduisant à des taches grises et vertes. Je m'aperçus que nous roulions très vite ; la voiture avançait cependant avec tant de souplesse que je ne sentais pas la vitesse. Seuls les bâtiments qui défilaient laissaient deviner notre allure.
— De quoi ta mère a l'air ? me demanda-t-il soudain.
Tournant brièvement la tête vers lui, je constatai qu'il m'étudiait avec curiosité.
— Elle me ressemble beaucoup, en plus jolie.
Il sourcilla, perplexe.
— Je tiens pas mal de Charlie, expliquai-je. Elle est plus extravertie, plus courageuse que moi. Irresponsable, un peu excentrique. Sa cuisine est imprévisible. Je l'adore.
Parler d'elle me déprimait, et
je me tus.
— Quel âge as-tu, Bella ?
Pour une raison que je ne pus identifier, sa voix contenait des accents de frustration. Il avait arrêté la voiture, et je me rendis compte que nous étions arrivés. La pluie était si dense que j'avais du mal à distinguer la maison. On aurait dit que la Volvo avait plongé dans une rivière.
— Dix-sept ans, répondis-je, interdite.
— Tu fais plus, déclara-t-il d'un ton réprobateur qui déclencha mes rires. Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?
— Ma mère passe son temps à répéter que j'avais trente-cinq ans à ma naissance et que je suis un peu plus dans la force de l'âge chaque année. Il faut bien que quelqu'un soit adulte, ajoutai-je en soupirant. Toi non plus, tu n'as pas beaucoup l'allure d'un lycéen.
Il me gratifia d'une grimace et changea de sujet.
— Pourquoi ta mère a-t-elle épousé Phil ?
Je fus surprise qu'il se souvînt du prénom. Je ne l'avais mentionné qu'une fois, presque deux mois plus tôt. Je réfléchis un moment.
— Elle... elle n'est pas très mûre, pour son âge. Je crois que Phil lui donne l'impression d'être plus jeune. Et puis, elle est folle de lui.
Je secouai la tête. Cette attirance restait un mystère pour moi.
— Tu approuves ?
— Quelle importance ? Je veux qu'elle soit heureuse... et il est ce dont elle a envie.
— C'est très généreux... Je me demande...
— Oui ?
— Pousserait-elle la courtoisie à te rendre la pareille ? Quel que soit le garçon que tu choisisses ?
Tout à coup, ses yeux fouillèrent les miens avec intensité.
— Je... je crois, balbutiai-je. Mais c'est elle la mère, après tout. C'est un peu différent.
— Alors, pas un type trop effrayant, j'imagine.
— Qu'entends-tu par-là ? plaisantai-je. Des piercings sur toute la figure et une collection de tatouages ?
— C'est une des définitions possibles du mot.
— Quelle est la tienne ?
Il ignora ma question pour m'en poser une autre, un vague sourire illuminant ses traits.
— Penses-tu que je pourrais passer pour effrayant ?
Je méditai quelques instants, hésitant entre lui dire la vérité et proférer un mensonge. J'optai pour la vérité.
— Euh... oui. Si tu le voulais.
— As-tu peur de moi, là, maintenant ?
Son visage d'Apollon était tout à coup très sérieux.